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INEDIT
 

La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France
pour les conditions de vie indignes au sein des camps de Harkis lesquelles violent les principes de la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales

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"Violations multiples et particulièrement graves de la Convention des droits de l'Homme"

 

"Le montant de 15 000 € octroyé par les juridictions internes [françaises] était modique"

 

"il ne suffisait pas à réparer l’intégralité des violations constatées"

 

Tels sont les termes employés par la CEDH pour qualifier les décisions des juridictions françaises qui s'étaient prononcées sur les demandes d'indemnisation des enfants de Harkis !

Cette décision est inédite et vient sanctionner le raisonnement des juridictions administratives françaises (Tribunal administratif, Cour administrative d'appel et Conseil d'Etat).

 

Décryptage

 

Déroulé de la procédure

 

Dans cette affaire, le Tribunal administratif s'est tout bonnement contenté de rejeter la demande d’indemnisation d'enfants de Harkis en raison des conditions de vie imposées dans les camps au lendemain du rapatriement du territoire Algérien et jusqu'au départ de ces camps.

 

En appel, la Cour administrative d'appel a eu un raisonnement plus poussé, en considérant qu'effectivement, les préjudices résultant des conditions de vie indignes dans les camps de Harkis, étaient de nature à engager la responsabilité pour faute de l'Etat, ce qui laisse entendre qu'il y a un droit à indemnisation. Toutefois, la Cour a considéré que les indemnisations des familles de Harkis intervenues dans le cadre des différentes lois et mesures d’indemnisation et de reconnaissance suffisaient à réparer le préjudice moral et matériel. La Cour a donc rejeté la demande d’indemnisation.

Suite à une cassation de ce raisonnement par le Conseil d'Etat, l'affaire est revenue devant la Cour administrative d'appel, qui cette fois, s'est prononcée pour une indemnisation des préjudices, mais a limité le montant de l’indemnisation à 15000€.

 

Le Conseil d'Etat a confirmé la décision de la Cour d'appel, ce qui a motivé nos compatriotes fils de Harkis à saisir la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH).

 

Le recours auprès de la CEDH porte sur trois moyens juridiques :

 

1- La responsabilité pour faute de l’État en raison du défaut d’intervention de la France en Algérie pour protéger les Harkis et leurs familles contre les représailles au moment de l’indépendance,

 

2- La responsabilité pour faute de l’État du fait du défaut d’organisation du rapatriement systématique,

 

3- La violation des articles 3 et 8 de la Convention des droits de l'homme et des articles 1 et 2 du Protocole no 1, concernant les conditions de vie indignes dans les camps de Harkis en France.

 

Attardons nous sur le point 3 : les conditions de vie dans les camps dont l'indignité et les répercussions sur le parcours de vie des familles de Harkis justifient l'indemnisation

 

Le caractère inédit de la décision de la CEDH résulte du fait que pour la première fois, une juridiction confirme qu'il doit y avoir indemnisation et décide pour la première fois que celle accordée par quelques-unes des juridictions françaises (certaines ayant tout bonnement refusé toute indemnisation) sont dérisoires !

 

Nous nous félicitons tout d'abord que la CEDH confirme nos alertes lorsque nous dénoncions haut et fort l’hérésie et la modicité des indemnisations mises en œuvre par le Gouvernement (Lire nos publications sur ce thème : ici et ici).

 

Il faut savoir d'autre part que la CEDH fonde sa décision sur le fait que les conditions de vie dans les camps violent les principes de la Convention des droits de l'Homme, en l'occurence les articles 3 et 5 de la Convention ainsi que le Protocole N°1 additionnel à la Convention.

 

Rappelons les dispositions de ces articles :

 

Article 3 de la Convention

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

 

Article 8 de la Convention

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

 

Article 1 du Protocole n°1 (Protocole additionnel à la Convention)

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

 

Il suffit en effet de se remémorer dans quelles conditions les familles de Harkis ont dû vivre dans les camps pour faire le constat indéniable que ces conditions violent manifestement ces principes du droit européen. Après leur rapatriement dans la précipitation, les familles ont été concentrées dans des camps où elles ont dû subir :

 

Installation dans des zones forestières, humides et froides ;

 

Baraquements pas isolés, charbon de chauffage rationné, tout comme l’électricité et les vivres ;

 

Conditions d’hygiène déplorables : absence d’eau courante, sanitaires collectifs et primitifs, isolés dans de petits bâtiments extérieurs ;

 

Camps placés sous un régime quasi-militaire et sous l’autorité d’un commandant de camp qui édicte un règlement intérieur, qui n’est soumis à aucun contrôle et qui peut « librement » édicter des restrictions significatives et anormales aux libertés individuelles.

 

Couvre-feux, coupures d’électricité quotidiennes, circulations contrôlées ;

 

Douches payantes et mises à disposition qu’une à deux fois par semaine ;

 

Gestion par les personnels des camps, à la place des Harkis, des fonds et des allocations qui leur sont normalement destinés, mais ne leur sont jamais versés (une inspection du camp de Bias, en avril 1963, fait état de la disparition de près de 2 millions de francs débloqués pour la gestion du camp et l’accueil des Harkis).

 

Atteintes à la dignité des Harkis  par certains personnels : abus d’autorité, brimades, vexations, confondant leur mission d’administrateurs avec celles d'une autorité hiérarchique qu’ils ne détiennent en aucun cas.

 

Absence de scolarisation normale des enfants de Harkis : avant le collège, ils ont, quand il existe, un enseignement rudimentaire à l’intérieur même du camp, puis avec le départ pour le collège et la sortie du camp, une nouvelle fracture pour les enfants de Harkis non préparés à sortir de l'isolement....

 

Ces conditions ont eu de graves conséquences dans le parcours de vie des Harkis et enfants de Harkis, à divers égards : psychologique, économique, social, médical, professionnel...générant pour l'écrasante majorité une perte de chance indéniable pour se réaliser personnellement et socialement. (Voir notre publication sur ce thème).

 

Nous ne pouvons que nous satisfaire grandement de la décision de la CEDH.

 

La Cour consacre en effet aux Harkis la qualité de victime !

La Cour va au-delà de la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat français dans l'indignité des conditions de vie imposées aux Harkis, elle dit clairement que les indemnisations décidées par les juridictions françaises sont dérisoires !

 

Et c'est cela une très grande satisfaction.

 

Une satisfaction en demi-teinte toutefois car sur le plan juridique, la CEDH a dû limiter le montant de l’indemnisation à la période de 1974 à 1975.

 

En effet, pour fonder son jugement, la CEDH s'est appuyée sur les dispositions de la Convention européenne des droits de l'Homme et du Protocole N°1.

 

Ces textes ont été ratifiés par la France, et donc devenus opposables, à compter du 3 mai 1974. Ainsi, en raison du principe de non-rétroactivité du droit des traités, la CEDH ne pouvait évaluer le préjudice sur la période antérieure au 3 Mai 1974, l'application du texte n'étant pas rétroactive.

 

Parallèlement, la Cour a considéré – selon nous, à tort - que la fermeture des camps est administrativement intervenue en 1975, suivant une décision gouvernementale.

 

Résultat, l'évaluation du préjudice par la CEDH, a porté uniquement sur la période de 1974 à 1975, et a condamné l'Etat français à une indemnisation des enfants de Harkis pour une somme correspondant à ces deux années uniquement.

 

D'autres insatisfactions tout de même...

 

Autres motifs d’insatisfaction : l'Etat français échappe à ses responsabilités pour ne pas avoir fait obstacle aux massacres perpétrés à l'égard des Harkis au lendemain du cessez-le-feu et pour les atermoiements et l'absence d'organisation de leur rapatriement systématique et de leur mise en sécurité !

 

Ces éléments ont été tout bonnement balayés par la CEDH qui a considéré, comme les juridictions françaises, que la responsabilité de la France ne pouvait être engagée pour ces motifs.

 

La Cour a considéré qu'en application du principe de préservation de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire [c'est-à-dire entre pouvoir du Gouvernement et pouvoir de la Justice], il n'y a pas lieu de remettre en cause les décisions d’ordre diplomatique et militaire dans le contexte des relations entre la France et l’Algérie après les accords d’Évian.

 

En d'autres termes, les décisions de ne pas intervenir pour préserver les Harkis du massacre des représailles, et de s’abstenir de les rapatrier, font partie de décisions prises dans un cadre diplomatique et militaire que l'on ne peut remettre en question.

 

Ubuesque ! Cela revient à dire que l'Etat français pouvait solliciter les Harkis, s'appuyer sur eux pour renforcer les forces militaires, puis décider de les laisser livrés aux massacres et aux actes de tortures et de barbaries les plus innommables !

 

Impossible d'accepter une telle décision, d'accepter cette différence de traitement perpétuelle pour tout ce qui concerne le sort de Harkis. Jugez d'ailleurs les derniers propos d'Emmanuel MACRON concernant le massacre – bien évidemment inacceptable – des Tutsis au Rwanda qui a déclaré :

la France "aurait pu arrêter le génocide" de 1994 au Rwanda "avec ses alliés occidentaux et africains", mais "n'en a pas eu la volonté".

 

Il serait glorieux et plus juste qu’Emmanuel MACRON en dise autant pour les Harkis, car c'est une chose de demander pardon aux Harkis, c'en est une autre de reconnaître sa terrible inaction devant, disons-le, le véritable génocide des Harkis, laissés au sort de tortionnaires dont la « créativité » en matière de barbarie place leurs actes au plus haut de l'échelle de l'horreur !

 

Alors Monsieur MACRON, nous nous devons de vous dire merci pour votre pardon, mais ce que nous attendons avant tout, ce sont plus que des mots, ce sont des actes. Que votre Gouvernement cesse de s'opposer avec un zèle sans nom aux actions indemnitaires de nos compatriotes Harkis, afin que nous disposions de tous les moyens juridiques conduisant à une réelle et juste réparation.

 

 

POUR CONCLURE

Nous nous félicitons de la décision de la CEDH, de cette avancée certaine dans la détermination du préjudice que nous avons subi dans les camps.

Nous nous félicitons du fait que l'Etat français ait été condamné.

Mais nous restons mobilisés pour faire reconnaître l'ensemble des autres préjudices moraux et matériels ! Et vigilants pour dénoncer les manœuvres orchestrées dans l'espoir d'enterrer le « dossier Harkis. »

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Décision de la CEDH

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