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Mostefa REMADNA

nous rend un peu d’honneur !

Interview

Un fils de Harki fait condamner l'Etat dès la première instance

Mostefa REMADNA, fils de Harki, s’est engagé dans un combat judiciaire, pour obtenir réparation des préjudices subis en raison des conditions de vie dans les camps d’accueil de Harkis arrivés en métropole après l’indépendance de l’Algérie.

 

Le Tribunal administratif de Rouen a fait écho à la décision du Conseil d’Etat du 03 octobre 2018, et a condamné l’Etat à verser à une indemnisation à hauteur de 15.000 euros.

 

Le Conseil des Harkis du Var a interviewé Mostefa REMADNA concernant cette décision. Moment intense en souvenirs, mais surtout empreint de vives émotions...

 

 

Le Conseil des Harkis du Var (ci-après CHV) : Comment vous est venue la volonté d’engager ce combat judiciaire contre l’Etat français ?

 

Mostefa REMADNA : Il ne s’agissait pas d’une décision spontanée, mais d’une action réfléchie. Mon analyse était que la responsabilité de l’Etat dans nos conditions de vie dans les camps ne faisant aucun doute, mais il restait à le prouver. Si notre histoire est publiquement connue et acceptée, le système judiciaire française exige des preuves, des documents…

Il m’a donc fallu réunir des documents tangibles pour étayer ce recours, un travail qui a duré pendant plusieurs années.

Ce travail de construction du dossier n’a pas été simple, il a été très long car en parallèle, la réalité du quotidien était présente : il fallait survivre, et m’occuper de ma famille. Malgré la difficulté, une fois ces éléments recueillis, j’ai alors pu agir concrètement et me lancer dans cette bataille.

 

Le CHV : N’était-ce pas le combat de David contre Goliath ?

 

Mostefa REMADNA : Oui en effet. Cette expression illustre parfaitement la situation. C’est un travail qui a demandé beaucoup d’efforts et de sacrifices, et énormément de persévérance et de courage face aux services de l’Etat.

 

Le fait de croire en la justice est un véritable moteur. Même si j’étais conscient que le chemin était semé d’embuches, lorsque l'on est persuadé, en son for intérieur, que la justice existe, on déploie tous les moyens pour aller chercher cette justice là où elle se trouve.

 

Il s’agit d’une motivation quotidienne : on se lève tous les matins avec l’espoir qu’un jour justice nous sera rendue.

PORTRAIT

La famille est ainsi arrivée en France en 1965, et transférée au camp de Saint Maurice l’Ardoise avant de transiter vers les camps de Mirade, et de ZONZA en Corse.

Après une jeunesse entière vécue dans les camps, Mostefa REMADNA prit en charge sa famille au décès prématuré de son père. Prenant les responsabilités d’un chef de famille malgré son jeune âge, il a accumulé les emplois pour subvenir aux besoins de la famille, et a tout mis en œuvre pour offrir un avenir meilleur à ses descendants.

Fort de ses expériences douloureuses, et ancré dans la fierté de ses origines berbères, il livre depuis 40 ans un combat avec une détermination sans faille, pour que justice soit rendue à sa famille, et à la communauté Harkie dans son ensemble.

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Mostefa REMADNA est né en Algérie française. Son père, Mohamed REMADNA, s’est engagé aux côtés de l’armée française à partir de 1955.

A l’issue de la Guerre d’Algérie, et compte tenu des menaces qui pesaient sur lui et sa famille, Mohamed REMADNA a quitté l’Algérie pour la métropole.

Le consulat de France à Batna a sollicité son transfert en France compte tenu de son arrestation puis de son internement dans un camp à ARRIS.

Cette victoire, je la dédis d’abord à mon père, qui a malheureusement disparu très tôt, et à mes enfants et toute ma famille. Je la dédie également à tous mes compatriotes issus de la communauté Harkie. Je les encourage à ne pas cesser de se battre.

 

Le CHV : Le Tribunal administratif de Rouen a condamné l’Etat français à vous indemniser et a donc reconnu vos préjudices. Etes-vous satisfait de cette décision ?

 

Mostefa REMADNA : Satisfait d’une certaine manière, essentiellement sur la forme de cette décision. Elle marque en effet la reconnaissance effective de mes préjudices, qui sont ceux des membres de la communauté Harkie. En termes d’indemnisation, cette décision n’est pas à la hauteur des préjudices que l’on a subis.

Je m’en fais une raison, et cela me donne davantage de forces pour continuer le combat.

 

Je considère qu’une petite porte a été ouverte, ce qui est une très bonne chose. Même si l’indemnisation n’est pas suffisamment appropriée à la réalité des préjudices subis, la décision ouvre le pas à mes compatriotes pour engager la même procédure.

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Le CHV : On peut imaginer combien ce type de combat est rude. Quelles sont les difficultés que vous avez pu rencontrer ?

 

Mostefa REMADNA : Les difficultés sont multiples. La première des difficultés venait de l’obstruction permanente à mes demandes administratives, pourtant légitimes.

 

L’administration française est un véritable parcours du combattant (sans faire de mauvais jeu de mot). Lorsque l’on recherche des solutions à une situation donnée, ou que l’on demande des renseignements, nous sommes trop souvent renvoyés vers d’autres services. Ce qui pourrait être résolu en quelques minutes, prend des mois voire des années à se débloquer.

C’est pour cette raison que le parcours a été difficile. Il fallait « enfoncer des portes » pour obtenir certains documents alors qu’ils étaient légaux, et nous avions le droit en tant que Français d’obtenir ces documents.

Le CHV : avez-vous des exemples qui vous viennent particulièrement en mémoire ?

 

Mostefa REMADNA : Ils sont multiples, mais je me souviens d’une situation particulièrement ubuesque lorsque j’ai essayé d’établir les dossiers pour la pension de ma mère. Je me suis rendu à l’ONACVG à l’époque, pour me renseigner sur les droits à pension de ma mère. J’ai eu la désagréable surprise d’entendre qu’il aurait fallu que mon père, décédé, ait entrepris les démarches nécessaires de son vivant. Voilà le type de paradoxe ! La personne qui m’a renseigné m’a indiqué ne rien pouvoir faire pour résorber cette situation.  

 

J’ai toutefois persévéré et agi par mes propres moyens. Au bout de 5 ans, et après avoir effectué toutes les recherches de documents nécessaires, j’ai obtenu une réponse positive.

 

Ce n’est donc que grâce à ma persévérance que j’ai pu obtenir l’application des droits dus à ma mère.

 

C’est pourquoi, j’insiste, et j’encourage tout le monde à persévérer, car les documents existent, il faut simplement savoir aller les chercher là où ils se trouvent.

 

Le CHV : Avez-vous eu des difficultés pour trouver un défenseur pour prendre en charge votre dossier ?

 

Mostefa REMADNA : Oui tout à fait. Dans ma commune, j’ai frappé à la porte de plusieurs avocats, spécialisés en droit public bien entendu. Aucun avocat n’a voulu se charger de mon dossier, l’estimant trop compliqué et voué à l’échec. Ils m’ont quasiment tous fait une réponse similaire. J’ai donc pris l’initiative de déposer moi-même le recours au Tribunal administratif. Ensuite je me suis rendu chez le bâtonnier car tout citoyen a droit à un avocat. Le bâtonnier a donc désigné un avocat d’office qui a été chargé de mon dossier. Sans cette démarche, je n’aurais pas pu bénéficier du concours d’un avocat.

 

Le CHV : Avez-vous d’autres exemples de ce type qui pourraient aider nos compatriotes à pallier les difficultés ?

 

Mostefa REMADNA : Comme déjà dit, les difficultés sont multiples, et elles tiennent essentiellement aux barrages à certains niveaux de l’administration, pour obtenir les documents nécessaires dans ce type de procédure.

 

L’autre difficulté majeure concerne la communauté Harkie dans son ensemble. Mon analyse, je la tiens de l’expérience que j’ai vécue. J’ai mené un combat individuel, avec toutes les difficultés que cela peut poser.

 

La solution qui peut paraître être la plus favorable aujourd’hui, serait que tous les Harkis se rassemblent et qu’il n’y ait plus de division. Il s’agit d’avoir une force commune pour pouvoir y arriver et obtenir gain de cause parce que le combat individuel est rude. Ce combat je l’ai mené, j’ai eu la chance d’y arriver même si le résultat ne correspond pas entièrement aux attentes, mais je pense qu’en étant en nombre, et en parlant le même langage, on peut obtenir meilleure satisfaction, car on serait mieux écoutés.

 

Il est sûr que pendant près de 60 ans, tout a été fait notamment par les pouvoirs publics, pour nous diviser. Je dis donc à la communauté Harkie qu’il faut se rassembler autour d’une structure fiable et valable qui puisse porter notre combat dans toute sa dimension.

 

 

Le CHV : Le combat prend-il fin avec cette décision du TA de Rouen ?

 

Mostefa REMADNA : Non non ! notre histoire est un combat sans fin car les préjudices sont énormes, voire extrêmes. Cette décision n’est pas l’ultime, ce n’est qu’une étape pour nous, le plus gros reste à faire. Cette décision nous satisfait sur un versant, mais ne correspond pas entièrement à ce que l’on attendait car les préjudices sont vraiment considérables, que ce soit d’un point de vue financier que psychologique vu la manière dont nous a été maltraités.

 

A mon sens, il reste des pages blanches à écrire sur l’histoire de France, car nous faisons partie de l’histoire de France, ces pages blanches, nous devons les écrire ensemble, pour que ce soit inscrit sur les livres d’histoire de France. C’est le but que je me fixe, et le combat continue. Je suis à la recherche des personnes qui peuvent notamment s’associer à cela et qui peuvent aller au fond des choses, et au-delà de tous les clivages.

 

 

Le CHV : Si vous aviez un conseil à donner à nos compatriotes, quel serait-il ?

 

Mostefa REMADNA : Personnellement, je suis attentif à l’actualité qui concerne la communauté Harkie. Je pense que l’on a été trop divisés, volontairement ou involontairement, depuis très longtemps. Cette division continue à s’accentuer, et en l’état, on ne peut pas évoluer.

 

C’est pour cela que je demande à toute la communauté de se rassembler, nous sommes nombreux. Aujourd’hui nous sommes environ un million et demi toutes générations confondues. J’estime donc qu’en se rassemblant, en étant une force, nous avons le pouvoir d’agir, soit par la justice soit par le bulletin de vote. Nous avons toutes les possibilités.

C’est pourquoi je demande à la communauté Harkie, de réussir ce challenge pour mettre fin à toutes nos souffrances et rendre hommage à ceux qui nous ont quittés, ceux qui souffrent aujourd’hui, ceux qui ont souffert avant. Nous sommes chargés, nous membres de la seconde génération, et même la troisième, de se rassembler, et d’en finir avec ces querelles intestines pour se rassembler et former un vrai collectif, une vraie force, pour faire comprendre à l’Etat que nous avons existé, que nous avons été maltraités et humiliés, et qu’aujourd’hui ça suffit. Nous avons eu des devoirs mais nous n’avons pas eu de droits. Il faut se réunir, échanger, dialoguer et ouvrir un grand débat national avec toute la communauté Harkie et faire nos propositions, et aller dans le même sens.

 

Si je devais conclure en une phrase, je dirais que j’ai réussi à faire un trou dans un mur, il faut que nous passions tous par-là, et nous unir pour agrandir ce mur, pour que l’on puisse s’exprimer librement avec les armes que la loi autorise.

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